Dossier label FAX

En à peine 10 années d'existence, le label FAX s'est bâti un empire discographique couvrant la quasi-totalité du spectre électronique. Avec bientôt 300 références réparties sur plusieurs sous-labels, cette officine fondée et dirigée par Pete Namlook se révèle être un des phénomènes les plus passionnants engendré par la culture "intelligent techno" et "chill-out".

A l'occasion de la sortie du coffret (4 CDs) "Ambient Cookbook II" (comémorant les 10 ans du label), Solenoide vous propose une petite visite guidée de cet eldorado de la nouvelle musique ambient.


Une micro-industrie artisanale

Passé d’abord par la case jazz-rock et world-music, Pete Namlook appartient à cette catégorie de producteurs obsédés par la notion d’autonomie artistique et financière. A la façon de Manfred Eicher, ce guitariste de formation s'est ainsi donné les moyens de monter sa propre maison de disque et, surtout, de la pérenniser. Mais là s’arrête la comparaison avec le mentor d’ECM. Car si Namlook a été friand de jazz voire de free-jazz durant ses jeunes années, c’est sur la création électronique qu’il a jeté son dévolu depuis la fin des années 80.

Son engouement pour les synthétiseurs puis pour l'informatique musicale en a d'ailleurs fait un véritable boulimique de l’enregistrement. Au terme de l’année 93, soit un an à peine après sa création, le label comptait près de 100 références à son actif, dont plusieurs à mettre au seul crédit de Namlook. Choisi non sans humour pour sa consonnance internationale, le pseudonyme de Namlook est en fait l’anagramme de Kuhlmann, patronyme réel du fondateur de Fax.

A ses débuts, la "micro industrie" Fax tourne à un rythme effréné: environ quatre albums voient le jour chaque mois. Une ambition d’apparence suicidaire que Namlook parvient cependant à tenir grâce à une tactique bien huilée. L’Allemand ne presse en effet que 500 à 1000 exemplaires de chaque CD qu’il dispatche dans son propre réseau mondial de distribution.

Ce fonctionnement tout à la fois artisanal et, avouons-le, un peu élitiste ne dissuade cependant pas quelques artistes chevronnés de rejoindre Fax. Parmi eux se retrouvent des activistes, parfois des figures de l’electronica (tel que Richie Hawtin, aka Plastikman), prêts à dissimuler momentanément leur nom et leur égo derrière le concept d'un album.

Chez Fax, le musicien opère comme dans un laboratoire: il est invité à explorer des directions inédites ou, tout au moins, inhabituelles, loin de toute pression médiatique et/ou commerciale.

Mais l'autre attrait du label tient, pour l'artiste invité, dans les conditions de travail avantageuses qui lui sont offertes. Particulièrement motivants, tant sur le plan matériel, humain que financier, ces arguments ont permis au label d'asseoir rapidement sa crédibilité auprès de l’Internationale electro.

Ambiguités esthétiques?

A l’instar de nombreux labels de sa génération (Warp, t:me...) , dès ses débuts FAX veut marquer les esprits par le biais de pochettes à forte identité graphique. Ainsi, jusqu’à la fin des années 90, celles-ci fonctionnent sur un mode extrêmement codifié. Associant divers logos, couleurs et motifs géométriques, celles-ci se révèlent énigmatiques et parfois même ironiques: entre clins d’oeil personnels et incantations environnementales (derrière lesquels se cachent peut-être des messages subliminaux!), l'emballage FAX défie les usages esthétiques et commerciaux de son temps!

Côté son, l'auditeur déambule dans un vaste champ bioélectronique où seraient pratiqués toutes sortes d’épendages vaporeux et abstraits. Aucune influence musicale n’est revendiquée par la maison. La seule officiellement admise étant celle... de la nature. En fait, la quasi globalité du spectre techno a droit de cité chez Fax. De sensibilité acid ou hard-trance (surtout au début), ambient house voire dub-électroniques (plus récemment) toutes les tendances anologiques ou numériques, expérimentales ou dansantes, cérébrale et/ou ludiques, trouvent (ou ont pu trouver) leur place sur le label de Francfort.

Autre marque de fabrique de Fax: les projets à volets multiples. AIR et SILENCE (tout juste réédité en format CD MP3) ou JET CHAMBER ont ainsi fait l’objet de quatre ou cinq albums chacun et ce sans érosion qualitative. Toute aussi marquant, DARK SIDE OF THE MOOG (dont les 3 premiers chapitres viennent d'être réédités sur le sous label Ambient World) en compagnie de Klaus Schulze a quant à lui généré à ce jour 9 albums. Un phénomène qui renvoie directement à l’ère des concepts albums des années 70 et contribue à alimenter la vaine polémique née autour de l’image prétendument new age de FAX.

Transambient express

Côté modèles, Namlook aime se référer à Oskar Sala, pionnier méconnu de la musique électronique (par ailleurs compositeur de "The Birds" de Hytchcock et dont 2 albums ont été réédités chez Fax). Mais le Tangerine Dream du début fait aussi partie de ses références incontournables (bien qu'inavouées!).

Sur un plan plus personnel, l'Allemand s'est spécialisé dans l'exploration des synthétiseurs analogiques, souvent trafiqués (et perfectionnés) dans son propre studio laboratoire. Résultent de ses expériences maniaques de riches albums environnementaux et souvent spatiaux, reminiscents de l'école "kosmische" allemande (du début des années 70), imprégnés également de la sensibilité ambient filmique de Brian Eno.

Dans la même veine, Namlook a réalisé de nombreuses "nouvelles musicales", dont Silence (avec son complice Dr Atmo) et Air, respectivement sortis en 92 et 93, constituent les points culminants. Deux projets parmi les plus importants du label, deux manifestes de pure fiction électronique, deux oeuvres à consonance classique, véritables ôdes au voyage immobile et romantique... Mais des dizaines d’autres opus dignes d’intérêt (4Voice, Dreamfish, Allien Community etc.), sous son seul nom ou en binôme, pourraient tout aussi bien être cités.

Entre 1993 et 1995, l'avènement de l’ambient music (rejeton de la culture "post-rave"), a permis au label de bénéficier d’une certaine visibilité médiatique. C'est dans ce contexte que Namlook a été amené à travailler (pour des licences) avec des labels étrangers comme R&S, Rigin High ou encore Subharmonic. Dans le même temps, et malgré une productivité ralentie, le catalogue s’est étoffé, surtout sur le plan qualitatif, avec le concours notamment de grands gourous de la scène électro internationale. Quelques perles d'ambient astrale ont ainsi pu vu voir le jour, excitant l'avidité des plus ferus collectionneurs du genre. Ainsi Tetsu Inoue, Geir Jenssen, Atom Heart, Mixmaster Morris, Jonah Sharp et même Klaus Schulze ont pu inscrire leur nom au palmarès du label allemand.

 

Stratégie satellitaire

Lorsque Namlook ne vogue pas vers des cieux electro ou cinématographiques, c’est à la musique classique occidentale qu’il se réfère. Musique à laquelle il a dédié un de ses sous-labels, baptisé Yesterday Tomorrow. Destiné à mettre en lumière la dimension ambient de la "grande musique", celui-ci ne compte à ce jour que quatre références à son actif.

Mais d'autres entité satellites de Fax, dont le nom tient en deux lettres, coexistent avec chacune leur spécificité. PK est par exemple dédiée aux productions personnelles du boss. Une autre nommée PS accueille musiciens et DJs allemands. PW est elle destinée aux artistes internationaux. Une dernière baptisée Ambient World réédite et repackage les best-sellers de la maison. Mais pour compléter l'organigramme, il convient d'ajouter deux labels "cousins", deux écuries de l'électronica qui bien que distinctes de Fax ont été fondées son créateur. Deux labels dont la direction artistique a été confiée à des maîtres de la discipline. Tout d'abord Headphone animé par Bobby Bird (de Higher Intelligence Agency) et enfin Rather Interesting, parrainé par un certain Uwe Schmidt, alias Atom Heart alias Senor Coconut.

Grâce à ses nombreuses subdivisions, Fax circonscrit de façon quasi exhausitive une vaste sphère d’influence panélectronique. Une zone à partir de laquelle tout matériau organique, tout résidu analogique, toute bande-son virtuelle peuvent être catalysés à travers le filtre de l’ambient.

Comme le prouve le projet intitulé Koolfang (Namlook/David Moufang), sorte d’alliance lascive entre jazz, deep-house et ambient, la maison ne fait pas que baigner dans la techno-culture ! Supergroup en apporte une démonstration supplémentaire. Rencontre déjantée entre fines gachettes du hip-hop et de l’électronique, cet album offre une redéfinition extraterrestre du krautrock.

Autre terreau fertile chez Fax, celui des traditions ethniques. Avec Bill Laswell, Namlook a enfanté les projets Psychonavigation et Outland. De flamboyantes odyssées à caractère ethno-trance et archéo-futuriste. Cependant, dans ce secteur, le travail du producteur allemand reste étonnamment méconnu.

Authentique oeuvre visionnaire, Sultan - Osman est une des plus irrésistibles excursions transworld imaginée par le label. Collaboration entre Burhan Oçal et Pete Namlook, ce disque sorti en 1998 célèbre les noces en stratosphère de la tradition turque et du dancefloor trance.

A partir de 1999, la productivité de FAX ralentit sérieusement. Tout au plus, peut-on dénombrer une dizaine de productions annuelles (où quelques "fidèles", tel Geir Jenssen - cf. Radiobalisages, continuent de s’illustrer) . Dans le même temps, certaines références sont pressées à 3000 exemplaires. Une évolution stratégique qui, en définitive, témoigne d’une volonté d'exploiter à fond le potentiel de chaque production tout en maintenant le cap qualitatif. Evolution logique que les dernières livraisons de la maison francfortaise rendent encore plus pertinente!

En éditant son anthologie "Ambient Cookbook II", puis en compilant en MP3 les plus glorieux épisodes de son histoire, le label de Francfort se donne enfin les moyen de sortir de la confidentialité. En deux mots de toucher le public qu'il mérite. Peut-être l'ignioriez-vous, mais vous n'êtes à présent plus qu'à quelques clics du précieux sésame. Encore un petit effort donc, et s'ouvrira à vous une des plus merveilleuse plateforme de l’electronica paléofuturiste.

Site du label FAX : http://music.hyperreal.org/labels/fax/

La Solénothèque - www.solenopole.org